«Plus de 200 000 décès par an à cause des pesticides»
Dans les manifestations et les articles contre les entreprises de l’agrochimie, une rumeur revient avec insistance: les pesticides tueraient plus de 200 000 personnes chaque année. Ce chiffre sort d’une étude parue il y a 35 ans. Il avait été calculé par extrapolation à partir du nombre de suicides par pesticides au Sri Lanka.
lundi 1 février 2021
Les faits essentiels en bref
- Le nombre de 200 000 décès par an attribués aux pesticides apparaît pour la première fois en 1985 dans un article d’un médecin du travail, Jeyarajah Jeyaratnam.
- Ce chiffre résulte d’une extrapolation réalisée sur la base du nombre d’intoxications aux pesticides (mort aux rats par exemple) à la suite de tentatives de suicide au Sri Lanka.
- L’affirmation selon laquelle les pesticides utilisés en agriculture seraient responsable de 200 000 morts ne résiste pas à l’examen.
Une affirmation éhontée, que ne peut étayer l’extrapolation réalisée sur la base du nombre de suicides par pesticides (mort aux rats par exemple) au Sri Lanka. Pourtant, elle revient avec insistance dans la bouche des antipesticides. Il y a peu, elle était reprise dans le livre «Das Gift und wir» de la Fondation Bio Suisse. En page 207, il est écrit que selon des estimations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les pesticides hautement toxiques causeraient 220 000 morts chaque année. Et l’auteur du livre ne s’arrête pas là. Relevant que les chiffres remontent à 1990, il ajoute que ceux-ci ne reflèteraient qu’en pointillés la gravité du problème actuel. Un non-sens absolu, l’extrapolation ayant été effectuée sur une fausse base.
Un chiffre vagabond
De fait, les plus de 200 000 morts figurent dans un document officiel de 2017 de la Rapporteuse spéciale des Nations Unies sur le droit à l’alimentations. Les antipesticides citent volontiers ce document dans leurs accusations. Le chiffre se fonde toutefois non pas sur des enquêtes propres, mais sur un article publié en 1985 par un médecin du travail, Jeyarajah Jeyaratnam. Il a ensuite été repris régulièrement dans divers travaux et études, sans qu’il soit toujours fait mention de la source. Et c’est ainsi qu’il s’est retrouvé, après plusieurs détours, dans ledit document de l’ONU. Un parcours que relate le journaliste scientifique Ludger Wess dans une enquête passionnante.
Analyse des suicides
Jeyarajah Jeyaratnam avait estimé ce chiffre à partir d’une extrapolation réalisée sur la base du nombre de malades admis en 1979 dans les hôpitaux du Sri Lanka pour le traitement d’intoxications aiguës à la suite de tentatives de suicide. Par extrapolation, il avait calculé à 220 000 le nombre de morts dans le monde. Il s’agit donc d’une estimation du nombre d’intoxications volontaires avec l’intention de se donner la mort, et non du nombre de décès causés par l’utilisation des produits phytosanitaires. Un fait que passe volontiers sous silence les antipesticides dans leurs diatribes.
L'éclairage
Pas de danger en cas d’application correcte
Il est clair que les pesticides doivent être employés avec prudence. Les alternatives proposées par les activistes, comme la permaculture et les pratiques homéopathiques, voire mystiques, pour renforcer les plantes sont malheureusement inefficaces dans la lutte contre les ravageurs. De bonnes pratiques agricoles, basées sur la science et les preuves, et qui considèrent les produits phytosanitaires comme un tool dans la boîte à outils des agriculteurs, sont beaucoup plus utiles pour combattre les ravageurs et les maladies fongiques et protéger les récoltes. Les biocides sont indispensables pour protéger les produits frais contre les ravageurs et les maladies fongiques durant l’entreposage et le transport. Les désinfectants aussi. Interdire les pesticides – soit les produits phytosanitaires et les biocides – aurait des conséquences désastreuses pour l’alimentation mondiale. Les famines se multiplieraient, les prix des aliments augmenteraient fortement. D’immenses étendues de paysage devraient être converties en terres arables. Tel ne peut être le but des adversaires de l’agrochimie.
Cette histoire rappelle une étude menée par des critiques de la protection des cultures, qui affirmait que 385 millions de personnes étaient victimes d'une intoxication aux produits phytosanitaires chaque année. L'étude a été publiée en 2020 dans la revue scientifique « BMC Public Health » et de nombreux médias ainsi que des institutions gouvernementales ont repris et diffusé le chiffre. Problème : le chiffre est faux. La rédaction de BMC Public Health a retiré l'étude parce qu'elle a reçu des « indications d'erreurs méthodologiques grossières ». Néanmoins, l'étude a tout de même influencé la politique et continue d'être abondamment citée.
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