Révolution à la ferme
La méthode CRISPR/Cas va révolutionner des pans entiers de la sélection végétale. Elle est plus que bienvenue pour relever les défis qui attendent l’agriculture au cours de ce siècle et qui menacent la sécurité de l’approvisionnement.
mercredi 13 avril 2022
Dans une conférence, le professeur de l’EPFZ Bruno Studer a présenté les possibilités des nouvelles techniques de sélection, en particulier la CRISPR/Cas, pour l’agriculture. Et elle en aura besoin pour relever les grands défis qui l’attendent. L’un d’eux est bien sûr le changement climatique. De l’avis de Bruno Studer, le problème de l’agriculture n’est pas la lente hausse des températures. Le danger qui la guette est plutôt la multiplication des événements météorologiques extrêmes, telles les vagues de chaleur, les périodes de sécheresse ou encore les intempéries.
Les événements météorologiques extrêmes favorisent l’apparition et la propagation de maladies phytosanitaires qui étaient jusqu’alors inconnues ou presque sous nos latitudes. C’est pourquoi l’usage, mais à bon escient, des produits phytosanitaires reste indispensable. La sélection végétale aura cependant un rôle tout aussi important à jouer, souligne M. Studer. Pour pouvoir affronter les nouvelles réalités climatiques, les végétaux devront être améliorés génétiquement, explique-t-il. La sélection végétale est l’un des piliers d’une agriculture durable.
Qu’est-ce que la sélection végétale?
La sélection végétale consiste à modifier génétiquement une plante. Elle ne date pas d’hier. Depuis plus de 12 000 ans, l’humanité sélectionne les végétaux. La plupart des plantes utiles qui nous sont connues sont issues de la sélection dite massale. Cela signifie que les mutations spontanées étaient attendues des décennies, voire des siècles durant. Lorsqu’une plante présentait de nouvelles propriétés, elle était utilisée pour les générations suivantes. La découverte de la génétique par Johann Gregor Mendel marque le début de la sélection croisée. Mais ici aussi, c’est le hasard qui décidait des recombinaisons de gènes.
Depuis les années 1940, on soumet les plantes à des traitements radioactifs ou chimiques de façon à induire activement des mutations génétiques. Les traitements sont hautement invasifs et aléatoires. Le catalogue européen des variétés compte plus de 3500 variétés végétales pour près de 200 espèces de plantes obtenues au moyen de la mutagénèse dite classique. Parmi celles-ci, on trouve la plupart des variétés d’orge de brasserie, de blé pastifiable et de blé qui fonctionnent bien dans l’agriculture biologique. Dans les années 1950 apparut la culture tissulaire, dont le but est d’optimiser la sélection croisée. Elle fut le précurseur du génie génétique qui fit lui-même sa percée dans les années 1990.
L’une des dernières techniques en date dans la sélection végétale est toutefois l’édition génomique. Ce terme regroupe différentes méthodes qui permettent de modifier de manière ciblée du matériel génétique à l’aide d’endonucléases de restriction (une catégorie d’enzymes). Celles-ci sont cependant très difficiles à élaborer. La CRISPR/Cas9 – ou ciseaux moléculaires – représente la plus efficace et la plus récente d’entre elles. Elle peut être programmée de façon à ne s’activer que là où on le souhaite dans l’ADN. La méthode CRISPR/Cas9 possède une précision sans précédent pour modifier l’ADN. Les chercheuses à l’origine de cette découverte ont reçu le Prix Nobel de chimie en 2020.
Des bactéries à l’origine
La méthode CRISPR/Cas provient à l’origine de bactéries. Les bactéries aussi sont infectées par des virus, dits bactériophages. La CRISPR/Cas représente une sorte de système immunitaire pour les bactéries, dans la mesure où elle reconnaît l’ADN du virus, produit une coupure selon un mécanisme semblable à celui d’un ciseau et le rend ainsi inoffensif. Ce même mécanisme s’utilise pour les cellules végétales. Là, les chercheurs et les chercheuses utilisent le système CRISPR/Cas pour couper l’ADN végétale à un endroit déterminé d’avance. La cellule réagit à cet endroit par des travaux de réparation. Lors de ce processus, il se produit de petites erreurs qu’exploitent les chercheuses et les chercheurs, par exemple pour inactiver un gène.
Il est aussi possible d’instruire la cellule sur la manière de réparer la section. Pour cela, on introduit des séquences d’ADN de la même plante (cisgène) ou d’une plante d’une autre espèce (transgène). Les ciseaux moléculaires CRISPR/Cas induisent alors, à un endroit prédéfini dans l’ADN de la plante, des mutations ou des modifications du génome. Les mutations dans l’ADN sont un processus naturel. Elles se produisent constamment et de manière spontanée. Selon les cas, il n’est plus possible de distinguer les mutations induites par CRISPR/Cas de celles qui se produisent de manière spontanée.
Rendre les plantes plus résistantes aux maladies ou aux extrêmes climatiques
Comment peut-on utiliser concrètement les ciseaux moléculaires CRISPR/Cas dans la sélection végétale et dans l’agriculture? Pour M. Studer, la technologie offre des perspectives intéressantes pour élargir le pool génétique des plantes utiles. Au fil des siècles et des millénaires, les plantes utiles ont fait l’objet d’une sélection très poussée au détriment de la diversité génétique. Avec les ciseaux CRISPR/Cas, on pourrait par exemple ramener certaines tolérances, par exemple contre le stress hydrique, dans le pool génétique.
Efficacité contre le mildiou
Compte du changement climatique et de la pression subséquente des ravageurs, il devient très important de développer les tolérances. Le mildiou est très redouté des agriculteurs. La maladie fongique, qui est favorisée par l’humidité, peut détruire selon les ans jusqu’à 40% des récoltes. Le gène MLO joue un rôle important dans l’apparition du mildiou, dans la mesure où il annihile la réponse immunitaire des plantes contre le mildiou. Avec l’édition génomique, il devient possible d’inactiver les gènes MLO de manière ciblée et de renforcer les mécanismes de défense d’une plante face au mildiou. Avec la sélection végétale conventionnelle, inactiver les gènes MLO et toutes les copies serait pratiquement impossible.
Le projet PILTON mené en Allemagne utilise la technique CRISPR/Cas. Le but ici est de rendre le blé résistant à quatre maladies fongiques: la rouille brune, la rouille jaune, la septoriose et la fusariose. Les premières expériences en plein champ ont lieu en 2022. Si elles s’avèrent concluantes, les variétés de blé résistantes aux maladies fongiques pourraient contribuer à diminuer l’utilisation des produits phytosanitaires. Ces variétés de blé seraient particulièrement intéressantes pour le marché suisse. La liste des projets de recherche et des applications possibles est longue. swiss-food.ch a identifié dix applications intéressantes pour la Suisse.
Améliorer les variétés existantes
Les ciseaux moléculaires CRISPR/Cas sont là. Malgré leur important potentiel, Bruno Studer tient à souligner qu’ils ne vont pas révolutionner le monde de la sélection végétale. Certaines opérations complexes restent très difficiles à réaliser, y compris avec leur aide. En outre, les ciseaux moléculaires ne peuvent pas être utilisés pour toutes les plantes. Il n’en reste pas moins que l’édition génomique représente un nouvel instrument important sur la voie d’une agriculture qui préserve les ressources. Cet outil pourra être utilisé à profit là où les méthodes de sélection classiques atteignent leurs limites.
C’est le cas notamment des plantes cultivées à la structure génétique complexe, tels le blé (6 copies de son génome) ou la pomme de terre (4 copies de son génome). Mais aussi des cultures où les méthodes de sélection conventionnelle demandent du temps, comme la pomme. Enfin, l’édition génomique permet aussi d’optimiser les variétés existantes établies sur le marché et de maintenir leur cultivabilité, y compris dans un contexte d’évolution des conditions climatiques. La sélection croisée classique leur ferait perdre leurs caractéristiques et provoquerait leur effondrement.
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