06.12.2025
Mutations au menu du déjeuner
Chères lectrices, chers lecteurs,
Imaginez un instant que nous nous trouvons dans le bureau des initiateurs de l’initiative pour la protection des aliments qui souhaitent, selon leurs propres dires, « préserver la Suisse des risques de la génétique ». Des piles de feuilles de signatures s’empilent sur la table, l’équipe des opposants aux OGM les compte avec soin – déjà des milliers de personnes ont signé. La satisfaction grandit, et l’appétit aussi.
Le choix du déjeuner est vite fait : des spaghettis, sauce tomate maison, bien sûr bio, préparée avec des tomates du jardin Demeter. L’eau bout dans la cuisine, la sauce embaume la pièce de l’arôme des fruits mûrs et des herbes. Un instant de calme. Un petit moment de plaisir.
Pendant que l’on enroule les spaghettis autour de la fourchette, personne ne pense vraiment au fait qu’on avale sans doute, ici, une bonne dose de génétique. La semoule de blé dur des pâtes provient très probablement de variétés obtenues par mutagenèse. Comme le souligne le professeur Kai Purnhagen de l’Université de Bayreuth en Allemagne : « Si la mutagenèse n’avait pas été exclue de la législation sur les OGM, environ 80 à 90 % des produits céréaliers du marché européen devraient être étiquetés comme OGM. » Et les grosses tomates juteuses pourraient elles aussi être le fruit d’une mutagenèse classique – et donc relever, elles aussi, du génie génétique. Une contradiction culinaire qui n’altère en rien le plaisir, mais qui rappelle la complexité de l’histoire de nos aliments.
Cette scène montre à quel point notre rapport à l’alimentation et au génie génétique est pleine de contradictions. Depuis les années 1950, la mutagenèse classique est utilisée. Cette méthode de sélection modifie le patrimoine génétique des plantes par irradiation ou traitement chimique.
Elle génère des milliers de mutations aléatoires dans le génome – la plupart sont inutiles, voire nuisibles. Seule une petite partie conduit à des caractéristiques recherchées en sélection, comme un meilleur goût ou une résistance accrue aux maladies. Les plantes ainsi obtenues sont ensuite souvent croisées à nouveau avec la variété d’origine afin de conserver les traits souhaités et d’éliminer une partie des mutations indésirables. Dans la pratique, pourtant, nombre de ces modifications restent présentes sans être détectées.
Un constat qui devrait en principe particulièrement préoccuper les opposants aux OGM : d’un point de vue scientifique, les variétés obtenues par mutagenèse sont bel et bien du génie génétique. Ce n’est pas seulement l’avis de chercheurs renommés comme le professeur Beat Keller de l’Université de Zurich. La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) l’a également confirmé dans son arrêt du 25 juillet 2018, en précisant que les procédés classiques comme les nouvelles techniques de mutagenèse, dès lors qu’ils produisant des organismes génétiquement modifiés, relèvent tous de la directive OGM.
À ce jour, plus de 3 000 variétés de plantes – dont de nombreux produits bio – issues de la mutagenèse classique ont ainsi été mises sur le marché sans étiquetage, y compris dans l’assiette des opposants aux OGM. Et pourtant, rien ne leur est arrivé, malgré les mutations voulues et non voulues dans le génome de ces plantes.
La consommation de ces produits est sûre. C’est précisément la raison pour laquelle les plantes obtenues par mutagénèse classique peuvent toujours être cultivées et commercialisées sans restriction, malgré leur classification juridique comme techniques de génie génétique.
Les nouvelles méthodes de sélection, en revanche, sont traitées tout autrement – alors même qu’elles fonctionnent avec une précision presque chirurgicale : au lieu de provoquer des milliers de mutations aléatoires, elles ne modifient que des séquences génétiques spécifiques, précisément celles qui confèrent les améliorations souhaitées. Pourquoi ces variétés, issues de mutations ciblées, ne sont-elles pas également admises sans restrictions ? Difficile à comprendre !
Ironiquement, on leur retire justement la possibilité de démontrer, par l’expérience pratique, leur innocuité. C’est pourtant ce même argument – des décennies d’utilisation sans problème – que la CJUE invoque pour justifier l’exemption des variétés issues de mutagenèse classique.
Encore plus absurde : les nouvelles méthodes pourraient théoriquement produire exactement les mêmes mutations que la mutagenèse classique. L’arrêt de la CJUE conduit donc à ce que deux plantes identiques sur le plan génétique soient réglementées différemment, simplement parce qu’elles ont été obtenues par des voies différentes. Ainsi, c’est l’approche plus ciblée – et sans doute plus sûre – des nouvelles techniques d’amélioration végétale qui se voit freinée.
Bienvenue dans la nouvelle, déroutante réalité de la régulation du génie génétique !
Dans de nombreux pays, les nouvelles méthodes de sélection comme l’édition génomique sont déjà autorisées. En Argentine, au Brésil, au Japon ou aux États-Unis, les plantes ne contenant pas de gènes étrangers ne sont plus considérées comme des OGM classiques et peuvent être cultivées comme des variétés conventionnelles. Au sein de l’Union européenne, un processus politique de libéralisation est également en cours. La proposition adoptée le 3 décembre par les représentants des États membres et le Parlement européen serait une vraie avancée : les produits issus des nouvelles techniques génomiques pourraient être vendus sans obligation d’étiquetage. L’incohérence logique qui prévalait jusqu’ici serait enfin levée.
Rien de tel en Suisse : le Conseil fédéral a présenté un projet qui, avec ses obligations d’étiquetage, une séparation des flux de marchandises et des restrictions de culture, empêcherait pratiquement toute chance de mise en marché de ces produits.
Vous vous demandez peut-être : est-ce vraiment si grave ? Ne pourrions-nous pas simplement continuer avec la mutagenèse classique ? Après tout, cela a bien fonctionné jusqu’ici. En principe, oui. Mais en sélection végétale, la vitesse devient un facteur de plus en plus crucial. Les conditions environnementales évoluent aujourd’hui de manière fulgurante sous l’effet du changement climatique. La culture de nombreuses espèces devient chaque année plus difficile.
À cela s’ajoute la pression politique visant à réduire l’usage des produits phytosanitaires au strict minimum. Or, les autorisations de nouveaux pesticides sont fortement en retard. Les agriculteurs disposent donc d’un nombre toujours plus limité de moyens pour protéger leurs cultures dans un contexte de plus en plus exigeant – tout en produisant suffisamment de denrées alimentaires de haute qualité à un prix abordable.
Dans ce contexte, la sélection végétale joue un rôle décisif. Elle doit mettre rapidement sur le marché de nouvelles variétés capables de s’adapter à ces conditions changeantes. La mutagenèse classique ne peut y répondre que de manière limitée. L’édition génomique, en revanche, permet d’apporter des modifications ciblées, précisément là où elles sont nécessaires – rapidement et avec précision. Un outil supplémentaire et essentiel pour l’agriculture.
Et pendant que ces débats scientifiques et politiques se poursuivent, les résultats de la sélection génomique atterrissent déjà chaque jour dans nos assiettes. Alors, lors de votre prochain plat de spaghettis, souvenez-vous : même les plus farouches opposants aux OGM ne peuvent pas échapper au génie génétique. Il ne se voit pas toujours – mais les produits ainsi obtenus sont savoureux !
Votre rédaction swiss-food