12.08.2023
Une dangerosité à géométrie variable
Chère lectrice, cher lecteur,
Les nouvelles alarmistes occupent toujours une place de choix dans les médias. Peu avant les grandes transhumances estivales, le Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) annonçait que l’aspartame était « possiblement cancérogène ». La nouvelle de l’agence de l’Organisation mondiale de la santé n’est pas passée inaperçue. Elle est aussi inquiétante, sachant que cet édulcorant artificiel se trouve dans de nombreux produits, du chewing-gum aux sodas allégés en calories. Les autorités sanitaires recommandent de réduire la consommation de sucre. Son remplacement serait désormais mauvais lui aussi. Pas de chance.
À elle seule, la catégorie « possiblement cancérogène » fait croire qu’il y a danger. Pourtant, le CIRC dispose de deux catégories encore plus inquiétantes : « cancérogène » et « probablement cancérogène ». Les boissons chaudes sont aussi considérées comme étant « possiblement cancérogènes ». De son côté, une autre instance de l’Organisation mondiale de la santé, le « Comité mixte d’experts des additifs alimentaires » (JEFCA) a réaffirmé la sécurité de l’aspartame. Quant à la « US Food & Drug Administration » (FDA), elle répond ainsi à la controverse : “Aspartame being labeled by IARC as “possibly carcinogenic to humans” does not mean that aspartame is actually linked to cancer.“ (Que le CIRC qualifie l’aspartame de « possiblement cancérogène » ne signifie pas qu’il y a effectivement un lien entre l’aspartame et le cancer). L’affaire de l’aspartame se dégonflerait-elle déjà ?
Excepté leurs unes, la plupart des médias ont été corrects dans leurs comptes rendus. C’est le cas par exemple de la NZZ, qui écrit que le CIRC examine seulement si une substance peut en principe provoquer le cancer, sans tenir compte de la quantité qu’il faudrait consommer pour qu’il y ait un risque pour la santé. Une consommation modérée d’aspartame n’est pas dangereuse. Paracelse, une fois encore, avait raison lorsqu’il affirmait que la quantité fait le poison. Il faudrait qu’une personne de 70 kilos boive chaque jour entre 9 et 14 canettes hautement dosées en aspartame. Soit entre 3 et 4,5 litres quotidiennement (dans l’hypothèse de canettes de 3,3 dl). Qui fait cela ? Personne, même par une chaude journée d’été. En effet, on recommande de ne pas boire plus de 4 litres de liquide par jour pour raisons de santé. Faute de quoi, les reins aussi pourraient atteindre leurs limites.
De fait, l’affaire de l’aspartame se dégonfle assez rapidement dans les médias. Le potentiel cancérogène est relativisé, et c’est bien ainsi. Les pesticides n’ont pas autant de chances. Le qualificatif « possiblement cancérogène » du CIRC continue d’être brandi comme une arme. Lorsque le CIRC classe un produit phytosanitaire comme « possiblement cancérogène », les médias foncent souvent tête baissée. Et les autorités aussi tombent dans l’activisme. Il faut immédiatement interdire le produit toxique. Les comptes rendus objectifs peinent à se frayer un chemin. Et contrairement à l’utilité des édulcorants artificiels pour des consommateurs soucieux de leur santé, l’utilité des pesticides dans la protection des cultures est reléguée à l’arrière-plan. Le gaspillage alimentaire, la protection contre l’érosion et l’utilisation durable des ressources sont soudainement sans importance. Le Chlorothalonil (fongicide) et le Glyphosate (herbicide), par exemple, sont classés dans la même catégorie que l’aspartame, aux côtés des boissons chaudes de plus de 65°, de la viande rouge, du travail en équipe et de la profession de coiffeur. Il y a deux poids deux mesures. Une même chose est jugée selon des règles différentes.
À la fin de juillet, la ville de Kloten s’est mise à trembler après la découverte de la première population de scarabées japonais au nord des Alpes. Arrivé d’Italie, cet insecte nuisible est déjà présent au Tessin. Ce gourmand n’est pas difficile. Il s’attaque en effet à de nombreuses espèces de plantes indigènes et peut causer de graves dommages dans les jardins, les espaces naturels et les cultures. La réaction pragmatique des autorités était juste. Les produits phytosanitaires sont actuellement les seuls moyens de lutte rapides et efficaces contre le coléoptère. Un vigneron piémontais qui cultive sa vigne en bio le reconnaît aussi. Cité dans le Blick (édition du 9 août), il a dû choisir entre abandonner ou pulvériser. La recherche sur les moyens de lutte doit cependant encore s’intensifier. Dans le Blick online, on peut découvrir le projet de recherche d’une doctorante de l’EPFZ. Le moyen de lutte proposé fait appel à des champignons. Mais il agit lentement et peut tout au plus contenir les populations de scarabées japonais. Pour les exterminer, les insecticides sont indispensables.
Pour cette raison, de l’insecticide est pulvérisé systématiquement partout où le scarabée japonais est détecté. L’insecticide utilisé, l’acétamipride, a été autorisé dans le cadre d’une procédure d’urgence en vue de cette application spécifique. Cet insecticide a démontré qu’il est efficace, mais il faut faire vite. Les scarabées japonais doivent être éliminés avant la ponte des œufs et l’éclosion des larves au printemps prochain. À Kloten, les autorités déploient les grands moyens. Même la protection civile a été réquisitionnée. Parmi les moyens de lutte figurent, outre la pulvérisation d’insecticide dans la nature et les jardins privés, la pose de pièges à appâts ainsi que la traque des larves à l’aide de chiens renifleurs.
Comme le montrent les comptes rendus des médias, la population fait preuve de compréhension. Elle a été informée que le produit phytosanitaire n’est pas dangereux pour l’être humain. Après un délai de trois semaines, même le chou du jardin peut être consommé sans crainte. Pour les tomates, le délai n’est même que de trois jours. S’il est correctement appliqué (il faut éviter les fleurs), l’insecticide ne menace guère les abeilles. L’exemple de Kloten laisse néanmoins songeur : lorsque des insectes nuisibles se transforment en une menace concrète, tout le monde ou presque reconnaît qu’il faut une arme. Les plantes de nos jardins et de nos parcs doivent pouvoir être protégées efficacement.
Mais on est en droit de s’étonner. Lorsqu’un insecte nuisible tel le scarabée japonais menace nos rosiers et nos pelouses, on intervient immédiatement et, au moyen d’homologations urgentes, on s’assure de pouvoir appliquer les insecticides nécessaires. Lorsque des maladies et des insectes nuisibles n’accablent que les agriculteurs, il en faut bien plus pour justifier l’utilisation des produits phytosanitaires auprès des autorités et de la population. Au lieu de protéger les ressources et les rendements avec pragmatisme, on préfère agiter le spectre des pesticides. On fait exactement la même chose avec la catégorie « possiblement cancérogène » du CIRC. Une nouvelle fois, il y a deux poids, deux mesures.
La différence de traitement est éclatante. C’est pourquoi il faut apprendre à ruser. Les cultures, et donc nombre de nos aliments, sont menacés. Par les caprices du temps, les nuisibles, les maladies et la concurrence des adventices. Et en raison de la globalisation, il n’est pas possible d’empêcher les migrations d’insectes nuisibles. Que le scarabée japonais ait choisi la ville de Kloten ne manque certes pas d’ironie. Il n’est reste pas moins que pour les agriculteurs, l’urgence est permanente. Pour eux aussi, souvent, seuls les produits phytosanitaires, utilisés avec précaution et pragmatisme, apportent une aide efficace. Les insectes nuisibles et les maladies phytosanitaires qui ravagent nos cultures ne viennent pas seulement de l’étranger. Certains sont propres à nos contrées. À l’alarmisme, nous préférons la science et la raison.
La rédaction de swiss-food