Surmonter les préjugés
Dans la communauté scientifique, il est aujourd’hui largement admis que les plantes génétiquement modifiées ne sont pas plus dangereuses que celles qui ont été sélectionnées par les méthodes traditionnelles. Mais comme le montre le film, il semblerait que l’individu préfère se fier à son instinct plutôt qu’à la science. Ce constat était le point de départ de la table ronde animée par Reto Brennwald, avec la participation d’Angela Bearth (Consumer Behavior Group EPFZ et vice-présidence du Forum sur la recherche génétique), Gabi Buchwalder (Comité Variétés de demain), Prof. Beat Keller (Institut de biologie végétale et microbiologie de l’Université de Zurich) et Prof. Urs Niggli (président de l’Institut d’écologie agraire).
Gabi Buchwalder se déclara choquée par le documentaire. Quant à Urs Niggli et Beat Keller, ce fut une impression d’être revenus aux années 90. Pour Angela Bearth, la méfiance de la population a une explication : « La perception du risque s’accroît face à l’inconnu. Le naturel bénéficie d’un fort ancrage. » La recherche comportementale a révélé que l’être humain fait preuve de prudence lorsqu’il s’agit de son alimentation. Ce qui est « naturel » est considéré comme « plus sain ». Notre perception diffère avec les médicaments. « À titre prophylactique, nous recourons plutôt à l’homéopathie. Mais dès que nous tombons malades, nous nous tournons tout de suite vers la chimie. » Parce que l’on veut que cela fasse effet. Le génie génétique ne revient-il pas à un face-à-face entre les plantes « naturelles » d’un côté et celles qui ne le sont pas de l’autre, demanda Urs Brennwald. Urs Niggli critiqua vivement le terme de naturel : « L’agriculture n’est rien d’autre qu’un développement technologique. L’agriculture n’a rien à voir avec la nature. Dieu merci, car sinon il ne serait pas possible de nourrir la population. » Revenant sur la différence de perception entre le « naturel » et le « non-naturel », le chercheur en biologie végétale Beat Keller constata : « La plupart des gens ne savent pas à quel point les plantes cultivées aujourd’hui sont tout, sauf naturelles. » Les plantes cultivées sont très loin des plantes naturelles, puisqu’elles résultent d’un long travail de sélection pour obtenir en même temps le plus de qualités souhaitées que possible, comme le rendement, la résistance, l’aspect, le goût, la conservation, etc.
Mais l’intervention dans le génome ne représente-t-elle pas une nouvelle dimension ? Gabi Buchwalder répondit par la négative. « Sur un champ de blé conventionnel, il se produit sans cesse des mutations. » Les modifications de l’édition génomique ne se distinguent plus des mutations naturelles. Une fiche d’information sur le sujet est disponible sur swiss-food. « Ces modifications ont lieu aussi dans la nature », souligna M. Keller. De plus, la question de la sécurité est clarifiée scientifiquement. Si nous sommes capables d’entendre la science lorsqu’il s’agit du changement climatique, alors nous pouvons aussi l’entendre à propos du génie génétique. La politique aussi l’a compris. Cet été, la Grande-Bretagne a donné son feu vert à la culture des plantes sélectionnées par édition génomique. De son côté, la Commission européenne a proposé un assouplissement des règles. Depuis, le Parlement européen s’est mis au travail. Tandis que l’UE travaille à un projet de réglementation des NTG, le Conseil fédéral tergiverse. Il n’entend présenter qu’en 2025, et non plus au milieu de 2024 comme le lui avait demandé le Parlement, le projet de loi visant à instaurer un régime d’homologation des plantes cisgènes.
Pour le pionnier du bio Urs Niggli, le projet de l’UE est intéressant. « La proposition qui est sur la table ne menace pas les agriculteurs bio.» Les résistances ne sont pas vaincues pour autant. « Les OMG étaient un ennemi idéal. On peut se profiler si l’on garde son ennemi », poursuit Urs Niggli. Dans les années 90, il s’était lui-même opposé au génie génétique. Aujourd’hui, il voit la question différemment et est favorable à l’édition génomique. Il espère qu’elle permettra de diminuer les quantités de produits phytosanitaires et d’engrais azotés, qui sont des substances problématiques selon lui. « L’édition génomique est, avec l’agriculture de précision, un élément important pour réduire l’apport de produits phytosanitaires. » De l’avis de Gabi Buchwalder, il est urgent d’avancer dans le domaine de la sélection végétale en raison du changement climatique.
Reconnaître les faits
Les participants à la table ronde sont unanimes. La discussion sur la sécurité ne fait plus recette. Renoncer à l’édition génomique dans la sélection végétale fait courir un risque beaucoup plus grand. Son immense utilité est scientifiquement démontrée. Dans un dossier publié par l’Académie suisse des sciences naturelles, cinq plantes obtenues par édition du génome sont présentés et il s'avère actuellement que les nouvelles technologies offrent également un grand potentiel pour les variétés de pommes suisses.
Pourtant, dans l’opinion publique, c’est toujours le même argument qui revient. « On n’en sait encore trop peu », entend-on dire souvent. Une phrase qui fait bondir Beat Keller : « L’argument avancé est toujours le même ! Il s’agit certes de techniques nouvelles. Mais aujourd’hui, nous pouvons savoir exactement ce qui a changé dans le génome. De nos jours, on peut séquencer tout le génome d’un organisme. Le chercheur peut ainsi voir tout de suite si quelque chose d’autre est apparu en plus de la modification souhaitée. C’est différent d’il y a vingt ans. » Il ajoute : « On ne voit pas où il pourrait y avoir un risque. Un scientifique a besoin d’hypothèses. On doit formuler le problème qu’il pourrait y avoir. Ce n’est qu’avec des hypothèses concrètes que l’on peut analyser et réfuter celles-ci. Se contenter d’affirmer que l’on n’en sait pas assez est une mauvaise excuse. » Sous ce prétexte, on peut empêcher toutes les nouvelles technologies. Le principe de précaution se mue en principe d’interdiction.
Prendre conscience des conséquences néfastes des interdictions technologiques
Puisque l’argument de la sécurité ne tient plus, les adversaires préfèrent de plus en plus souvent faire référence au pouvoir des multinationales dans la sélection végétale. « L’argument selon lequel les semences sont soumises à un monopole revient très souvent. Les mêmes milieux affirment que les petits agriculteurs ne peuvent pas suivre », déclare Urs Niggli. S’il reconnaît la nécessité d’une discussion sur les conséquences économiques et sociales, ce débat n’a rien à voir avec la technologie en soi. En introduction Urs Niggli avait d’ailleurs ironisé : « En Suisse, nous n'avons pas besoin du génie génétique. Il nous suffit d’importer les meilleurs produits de partout, en qualité bio ou conventionnelle. Pour nous en Suisse, le problème est résolu. Formidable ! En revanche, ou oublie volontiers que nos décisions pèsent sur le reste de la planète. »
Pourtant, la recherche en Suisse a déjà accompli de grandes choses pour l’humanité. Il y a déjà des décennies, le chercheur de l’EPFZ Ingo Potrykos et ses collègues avaient développé le « riz doré », un riz enrichi en vitamine A par génie génétique. Des millions de personnes démunies peuvent ainsi absorber la précieuse vitamine en mangeant leur bol de riz quotidien. Mais la culture de ce riz est combattue elle aussi depuis tout aussi longtemps, en particulier par Greenpeace. Sans aucun argument scientifique, comme le révèle un article récent de la SWR.
C’est aussi pour cette raison que la recherche en Suisse doit continuer de s’engager en faveur du développement de la sélection végétale. Selon M. Keller, chercheur en biologie végétale, des pans importants de la recherche s’en sont déjà allés : la recherche fondamentale et les départements de recherche de l’industrie concernés. Le chercheur a raison : les grandes entreprises sont flexibles, la Suisse en tant que site d’innovation a tout à perdre. Car ce ne sont pas seulement les coopérations en matière de recherche avec les universités qui prennent le chemin de l’étranger. En Suisse même, aucune communauté de start-ups n’apparaît non plus. Car aucune PME ne peut se permettre de mener des expérimentations sur des sites ultrasécurisés et donc coûteux par crainte d’actes de vandalisme. Et les jeunes chercheurs préfèrent travailler dans un environnement de travail où ils se sentent appréciés. Un professeur en biotechnologie végétale l’a très bien résumé : « Je perds les jeunes chercheurs après quelques années. Leurs perspectives sont bouchées et ils en ont assez d’être cloués au pilori lors des sorties entre collègues uniquement parce que leur domaine de recherche est celui des biotechnologies vertes. » L’ouverture à la technologie d’une société est indispensable à l’essor d’une communauté dynamique de la recherche. M. Keller eut le mot de la fin : « À cause de notre méfiance, j’ai peur qu’un jour nous soyons dépassés par les développements internationaux. Il ne nous restera plus qu’à courir derrière ce qui se fera ailleurs. « C’est dommage. Nous devrions regarder vers l’avenir et prendre activement notre destin en main.»
La rédaction de swiss-food